Route 390, chambre 382.

Vêtue d’une robe ample, démaquillée et accompagnée d’un grand sac avec quelques affaires, je déambule dans les couloirs de l’hôpital. Inscription, signatures, bracelets, j’arrive dans la chambre. La chambre 382.

Un an et demi après ma première fois, je me retrouve seule dans une chambre un peu froide et défraîchie. La vue donne sur des buildings gris, le temps est gris aussi. Je me déshabille et enfile la fameuse blouse blanche et bleue ouverte dans le dos. Et j’attends.

Un an et demi… ça a été rapide

Cette fois, l’endométriose n’est pas en cause. Mais les douleurs sont revenues. J’en reconnais certaines. J’en découvre de nouvelles.
Les contractions utérines sont fréquentes. Je saigne sans raison. Je saigne au moindre effort à vrai dire. Les étourdissements et les vomissements me tirent la sonnette d’alarme. J’ai pourtant lutté.

J’ai parfois l’impression que mon cerveau tente de se dissocier de mon corps. Le premier me répète sans cesse que j’ai connu pire et que j’exagère. Alors que mon corps s’entraîne à sourire dans la voiture pour ne rien laisser paraître ou il s’enfonce les ongles dans les paumes des mains lorsque la douleur s’intensifie.
On peut être dur avec soi parfois, souvent même.

J’ai fini par retourner voir ma spécialiste seulement 4 mois après mon examen de contrôle où tout allait bien.
Il s’avère que c’est l’utérus.
Un petit quelque chose, un petit coude bloque son bon fonctionnement. Un petit couac qui me fait retenir du sang que je couve. Ce sang, c’est l’inconnu. Impossible de savoir son origine, son pourquoi, son fonctionnement. Mon corps me réserve encore bien des surprises.

Au départ, c’est un soulagement, ce n’est pas l’endométriose. Mais mon utérus a un problème. Tant que je gère ça va, on laisse couler.
Sauf que le moment où je gérais n’est plus là. Et le tout s’empire. Et je décide de retourner sur la table d’opération.

Je suis assez confiante. Presque détachée.
Après tout, je connais la procédure, je connais les lieux et je connais ma spécialiste. Ce sera une formalité, non ?

J’y vais seule, Covid oblige, mais dans le fond, ça m’arrange. J’ai encore et toujours ce besoin irrépressible de tout faire par moi-même, de ne pas inquiéter ou déranger. M’occuper de mon corps seule. Parce que c’est mon problème, mon fardeau.

Ma vie à 100 à l’heure me pousse à choisir une rachianesthésie. Une version plus light qui me permettra de rentrer plus vite et de récupérer ma vie plus vite. De plus, je serai réveillée et je suis ravie de pouvoir assister à ça, d’observer, de poser des questions, de vivre ça de l’intérieur (et c’est le cas de le dire).

Alors, en route.

Le jour J, le stress monte un peu. L’attente est longue. Comme chaque fois, j’ai l’impression.

Je descends vers le bloc opératoire. J’essaye de faire de mon mieux, d’être une bonne patiente.
Être une bonne patiente ? Mais qu’est-ce que ça veut dire : être sympa, ne pas se plaindre, aider quand on peut ? Je me pose toujours la question en réalité. Doit-on vraiment être un bon patient ? Sera-t-on traité différemment ? En fait, non ! Mais ce n’est pas vraiment la question aujourd’hui.

Je rentre dans la salle d’opération. Cette grande pièce stérile où s’agitent 5 ou 6 infirmières. Ça cancane dans tous les sens.

On m’installe sur la table. On m’explique que l’on va m’injecter l’anesthésiant dans le bas du dos. Je me retrouve à faire le dos rond et avoir une vue plongeante sur mon corps. Ma blouse tombe et je suis presque nue devant ces femmes.
Pour elles, ce n’est qu’un corps, mais j’avoue que cette vision, même si je sais pourquoi je suis là, que tout le monde m’a déjà vu nue la première fois, et qu’elles vont littéralement aller voir au plus profond de moi-même, cette vision à cet instant, elle n’est pas facile. Il faut pouvoir la gérer.
C’est un état de vulnérabilité très intense. On laisse son corps à quelqu’un d’autre pour en prendre soin. Et nous n’avons aucune prise là-dessus.

Très vite, la sensation de fourmis dans les jambes arrive.

On m’installe, les jambes en l’air dans des jambières. Un champ est placé pour que je ne voie rien. Mince… moi qui voulais assister à tout.
Elles finissent la mise en place et je me retrouve enfermée dans 4 murs blancs, une couverture sur moi et des tuyaux sortant de partout.

Le stress monte. La peur monte. J’essaye de rester zen, de trouver des regards pour me distraire, discuter ou simplement avoir une présence, mais personne n’est là.

Tout doucement, les infirmières, qui ne cessaient de parler, se taisent. Moi, j’essaye de me raccrocher à ce que je peux entendre ; du charabia médical, des demandes techniques.

Très peu de temps après le début de l’opération, je commence à ressentir une gêne qui se transforme en douleur. J’ai mal. Je sens les instruments à l’intérieur de moi. Au plus profond de moi.

Je ne dis rien, parce que je veux aider. Je veux que ça se passe bien. Je veux être une bonne patiente.
Mais la douleur devient trop forte. Personne n’est là pour me parler de la pluie et du beau temps comme on me l’avait promis en préparant l’opération. Tout le monde se tait. Je comprends assez vite que ce ne sera pas si facile que prévu.
Et je commence à étouffer dans mes 4 murs blancs.

La douleur devient trop intense, ingérable, je ne peux plus me retenir, je l’exprime.

On ajoute des antidouleurs dans un des nombreux tuyaux qui m’entourent.
Ça soulage, ça rend la chose moins pénible, mais ça ne l’élimine pas.

Je ne peux pas vraiment décrire ce que j’ai ressenti durant ces longues minutes. Mais je peux dire que je me suis sentie seule, vulnérable et faible.

A cet instant, les larmes commencent à monter. Elles coulent sur mes joues. J’essaye discrètement de les essuyer. Parce que je ne peux pas faillir. Je ne peux pas montrer ça.

A la moitié de l’opération, la chirurgienne vient rompre le silence. Elle me dit « Madame, nous faisons de l’art ! ». Cette phrase vient délivrer ma solitude. Elle me parle un peu, j’essaye de ne pas faire entendre que ma voix tremble, que malgré les antidouleurs je sens encore les coups des instruments, les tests et le fil qui me recoud l’utérus et le col de l’utérus.

L’opération se finit. Mes jambes sont redescendues.

Je suis amenée vers la salle de réveil. J’ai encore cette boule dans la gorge et des larmes dans les yeux. En passant la porte de la salle d’opération, mes nerfs lâchent. J’ai envie de m’effondrer. Les sanglots sont dans ma gorge mais je fais tout pour les dissimuler.
J’ai encore deux infirmières au-dessus de moi et je ne peux pas. Que dirais-je ? Je passerai pour une faible, une douillette ?
Moi qui me pensais si forte, si prête, je me rends compte que c’est bien plus difficile que prévu. Que j’en demande certainement trop à mon corps, à mes nerfs que je refuse de laisser aller.

Je finis par faire une micro sieste, épuisée par l’opération, par mes émotions.

Arrivée dans la salle de réveil, je demande à avoir une culotte, un filet, car on ne m’a rien mis. Je suis toujours nue sous cette blouse blanche et bleue et je sais que le sang va finir par arriver. J’aimerais un peu de confort. On me dit d’attendre, une première fois.

Je remonte vers ma chambre. Je demande directement à l’infirmière pour avoir une culotte ou pour m’aider à en mettre une. Mes jambes sont encore endormies. Je ne peux pas bouger et je ne peux atteindre mes affaires pour en mettre une.

L’infirmière regarde mon entre-jambe et me répond : « vous ne saignez pas beaucoup. Ne vous tracassez pas, vous êtes sur une alaise et, de toute façon, vous ne sentez rien. »

Cette phrase, elle peut paraître sans conséquence. Après tout, c’est la vérité. Mais après une opération de l’utérus, une opération qui ne fut pas si simple, en tant que patiente, j’ai demandé un peu de confort. Et ce confort, on me l’a refusé.

Je suis sans voix. C’est la nuit, je suis seule dans ma chambre, nue sous ma blouse. Mon sang coule sur une alaise entre mes jambes et personne ne veut m’aider à mettre une culotte. Une chose si simple.

A ce moment, je me sens comme un numéro en attente de quitter un lit d’hôpital parmi tant d’autres. Oui, ce n’était qu’une culotte. Mais toute la journée, j’avais attendu, été anxieuse, vu mon corps exposé, trifouillé, j’avais eu mal et ce n’était pas tant la culotte pour absorber mon sang dont j’avais besoin, j’avais juste besoin de cette chose qui était importante pour moi. Pour me sentir bien.

Parce qu’on oublie que ça reste une épreuve. On se met littéralement à nu, on expose nos douleurs, nos problèmes féminins que l’on essaye parfois tant de préserver, de cacher. On expose nos défauts, nos complexes pour espérer un mieux après.

Ce petit geste sans conséquence, on me l’a refusé. J’ai dû attendre que mes jambes se réveillent, là, dans mon alaise de sang, pour pouvoir mettre moi-même cette culotte. Me rhabiller, me retrouver et sortir de cette chambre impersonnelle.

En acceptant de passer une seconde fois sur la table d’opération, je n’avais pas choisi l’option la plus facile. J’en étais fière. Je souhaitais vivre cela de l’intérieur et je voulais récupérer vite. Ne pas sentir le fardeau de la récupération trop longtemps.

Je l’ai regretté.

J’ai vu l’envers du décor.

Le stress que cette salle peut engendrer. Les silences tenus et l’importance d’une petite phrase qui rassure ou d’une main tendue dans un environnement froid et parfois hostile.
Parce qu’une opération, comme chaque opération, reste une épreuve et une attention peut parfois tout changer.

Aujourd’hui, la médecine est performante. Les outils sont précis et technologiques.
Mais parfois, je me demande si on n’aurait pas perdu un peu d’humanité dans cette technologie froide et stérile.

Rencontrer un médecin, une personne des soins de santé, accepter de se faire soigner par eux, c’est offrir une confiance. C’est la placer en eux pour aller mieux.
C’est d’abord une relation d’humain à humain.

Je pense qu’il est important de se le rappeler. Et de demander et même d’exiger cette humanité dans son parcours de patient.
C’est aussi ça, être un bon patient. Un bon patient pour soi et pour sa santé.

 

Coline D.

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